février 2015

#Media - Management packages, quelles leçons tirer des dernières évolutions ?

 Retour aux actualités

Par Jérémie Jeausserand et Tristan Audouard. Dans une précédente chronique publiée en 2013, nous avions fait le point sur les perspectives d’évolution, notamment jurisprudentielles, du régime fiscal des gains issus de management packages. Si la structuration de ces derniers s’était standardisée et stabilisée entre le début des années 2000 et 2012, diverses évolutions récentes ont profondément modifié le mode de raisonnement des praticiens confrontés à la mise en place de management packages. En effet, tant le législateur que la jurisprudence ont récemment apporté leur pierre à un édifice qui devient de plus en plus complexe. De plus, les pratiques de l’administration fiscale ont nettement évolué et obligent à revoir sa grille d’analyse lorsqu’il s’agit de déterminer une structuration adaptée.

Évolutions législatives : des plus et des moins

En matière législative, la profonde réforme du régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières a largement modifié les réflexes des praticiens. Ainsi, les gains sur certaines valeurs mobilières sont désormais taxés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, sans abattement. Il en est ainsi des gains sur bons de souscription d’actions (BSA) et sur obligations (sèches ou convertibles), de sorte qu’en pratique, ces instruments ne sont pratiquement plus utilisés dans le cadre des nouveaux management packages.
Par ailleurs, pour les LBO en cours, il est assez fréquemment envisagé de restructurer les management packages existants afin de remplacer les outils désormais inadaptés par d’autres, plus en ligne avec la nouvelle réglementation fiscale.

A l’inverse, certains outils pourraient retrouver une nouvelle jeunesse en cas de vote en l’état du « projet de loi Macron », lequel prévoit notamment d’assouplir considérablement et fort opportunément le régime juridique, social et fiscal des attributions gratuites d’actions.
Enfin, il pourra être noté que le législateur a mis fin à la possibilité de souscrire en PEA des instruments ratchet (BSA ou actions de préférence), cette interdiction ne concernant toutefois pas ceux qui figuraient en PEA préalablement au 1er  janvier 2014.

Ces diverses évolutions ont fait évoluer la structuration des management packages vers davantage de sweet equity et moins de ratchet.

Le Conseil d’État se prononce enfin : une solution en demi-teinte

La suite des décisions défavorables de la Cour administrative d’appel de Paris du 28 novembre 2012 était très attendue par les praticiens. Elle est intervenue le 26 septembre 2014, date de la première décision du Conseil d’État concernant un management package, lequel était en l’espèce structuré sous forme de promesse de vente  « ratchet ». Si le Conseil d’État a confirmé la solution retenue par la Cour administrative d’appel (à savoir une requalification en salaires du gain réalisé par un dirigeant dans le cadre de l’exercice d’une promesse de vente d’actions consentie par l’investisseur financier), la lecture attentive de la décision et des conclusions du rapporteur public est rassurante : il semble en effet s’agir d’une décision d’espèce, fondée sur des faits extrêmement particuliers, et non d’une décision de principe dont la solution serait de fait transposable à l’ensemble des gains issus de management packages.

Le Conseil d’État semble s’être appuyé sur la structuration du mécanisme (le contrat d’option étant similaire à un mécanisme de stock-options) et sur le faible risque pris par le manager comparé au gain réalisé (13k€ investi pour un gain de 2 m€). Sans se prononcer ici sur la pertinence du raisonnement du Conseil d’État, la portée de sa décision sera selon nous très limitée compte tenu des éléments de fait propres à l’affaire jugée*.

Par ailleurs, il peut être relevé une autre décision récente du Conseil d’État, rendue le 10 décembre 2014 et passée relativement inaperçue : dans cette affaire, les managers avaient acquis en PEA des actions de leur groupe à une valeur que l’administration fiscale estimait être volontairement minorée (les titres ayant été acquis en PEA au prix de 4,59 € en octobre 2000 et revendus 36,60 € en juin 2001, alors que les négociations avec l’acquéreur étaient déjà en cours en octobre 2000). L’administration fiscale entendait en conséquence leur refuser le bénéfice de l’exonération liée au PEA.
Dans sa décision, le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire et s’est contenté de casser l’arrêt d’appel, renvoyant le jugement du fond de l’affaire à une autre cour d’appel, au motif que le juge d’appel n’avait pas recherché si les managers avaient conscience de la valeur réelle de l’action lors de leur acquisition en octobre 2000.

Cette décision est à mettre en parallèle avec les divers avis rendus depuis le dernier trimestre 2012 par le Comité de l’abus de droit fiscal au sujet des management packages structurés sous forme de valeurs mobilières ratchet (BSA ou actions de préférence) souscrites au travers de PEA. Dans ces affaires, le Comité s’est attaché à déterminer si les managers ont bénéficié d’un avantage (sur le prix de souscription ou les conditions d’investissement), à défaut de quoi l’abus de droit n’est pas caractérisé, y compris en cas de plus-value très significative. A noter que le seul dossier dans lequel le Comité a rendu un avis favorable à l’administration fiscale concernait un management package dans lequel les managers disposaient de conditions favorables et étaient notamment garantis de récupérer leur investissement dans certaines zones de TRI.

En revanche, pour les autres dossiers dans lesquels l’investissement a été considéré comme réalisé à des conditions normales, le Comité a confirmé la qualification de plus-value de cession de valeurs mobilières et le bénéfice de l’exonération liée au PEA. A noter enfin que le Comité n’a pas modifié cette grille d’analyse malgré la publication de l’arrêt Gaillochet : ainsi, dans une série d’avis rendus le 7 novembre 2014, le Comité a appliqué son analyse traditionnelle pour conclure à l’absence de requalification en salaires du gain réalisé par les managers.

La pratique de l’administration fiscale en matière de redressement : des évolutions marquantes

Dans notre précédente chronique, nous avions exposé le raisonnement retenu classiquement par les services vérificateurs afin de redresser les gains des managers. Ce raisonnement a depuis lors sensiblement évolué, l’administration fiscale tentant désormais de contester les méthodes de valorisation du management package retenues lors de l’investissement des managers. Elle conteste également la non-conversion des obligations convertibles détenues par le fonds d’investissement, notamment lorsque celle-ci est conditionnée à un critère de TRI.

Si ce mode de raisonnement peut sembler plus technique que le précédent, il n’en reste pas moins faible juridiquement dans la plupart des cas. Par ailleurs, les valorisations effectuées par les services vérificateurs sont souvent erronées car basées sur des postulats financiers inadaptés au cas de l’entreprise concernée et en tout état de cause toujours incomplets.

Conclusion : les management packages ont-ils encore un avenir ?

Les évolutions exposées ci-dessus, si elles ont profondément modifié les modes de structuration des management packages, n’ont néanmoins pas empêché les équipes de management d’investir dans les groupes qu’ils dirigent et dont ils sont bien souvent les seuls actionnaires sur le long terme. Il ne pouvait en être autrement, l’investissement du management étant consubstantiel à toute opération de LBO : il en va en effet de la crédibilité du business plan du groupe et donc de la capacité de l’acquéreur financier à lever de la dette pour financer l’acquisition.

Pour finir, nous relèverons le paradoxe qui résulte du rapprochement du « projet de loi Macron » et de l’attitude de l’administration fiscale à l’égard des gains issus des management packages : alors que les services vérificateurs continuent, encore en 2015, à tenter de requalifier en salaires les gains issus de management packages dans les opérations de LBO, le gouvernement, via le « projet de loi Macron », souhaite développer l’actionnariat salarié en alignant le régime fiscal des actions gratuites sur celui des actions ordinaires… En d’autres termes, si l’approche de l’administration fiscale devait être maintenue, il serait moins couteux fiscalement de bénéficier d’actions gratuites que d’investir une partie substantielle de son patrimoine à risque (parfois très à risque, lorsque les seuils de TRI ou de multiple sont élevés et que le contexte économique est celui que nous connaissons depuis quelques années) !

Il reste à espérer que de ce paradoxe naitra une prise de conscience des services fiscaux quant à l’absurdité de la démarche de requalification. L’avenir des management packages et des opérations de LBO semble en tout cas largement assuré, quelle que soit l’actualité.

* Pour un commentaire détaillé des décisions de la Cour administrative d’appel de Paris et du Conseil d’Etat, voir les numéros 17 (25 avril 2013) et 47 (20 novembre 2014) de la Revue de Droit Fiscal.